Départ dans le frais, des pantalons longs seraient le bienvenu. Mes muscles sont fatigués de la grande étape d’hier, j’ai besoin de les échauffer. C’est compliqué de penser à tous et cela prend du temps que je n’ai pas, il me faut traiter les yeux, les lèvres qui souffrent beaucoup en ce moment.
Me badigeonner la peau. Se camoufler le visage. Le matin, c’est une course contre la montre. Dés que je chevauche ma gazelle, je sais que je peux me détendre, tout est fini, le plaisir du vélo monte en moi, je m’emplis de ce désert qui chaque jour diffère de celui de la veille. On a tendance à l’imaginer comme de vastes dunes de sable jaune. Depuis qu’on le traverse sur plusieurs centaines de kilomètres, nous n’avons rencontré ce type de paysage qu’entre Laâyoune et Laâyoune plage, c’est-à-dire sur une vingtaine de km.
Hier, j’avais l’impression d’un paysage lunaire, du style « j’ai roulé sur la lune » aujourd’hui, je dirai que j’ai traversé la planète Mars.
Des dunes de sable blanc font leur apparition derrière des rochers sculptés par l’érosion du vent et du sable. Nous sommes en plein djébel. C’est magnifique, en plus tout le long de la route, sur ces rochers qui ressemblent à d’énormes temples, des « cairns » en sont les gardiens. J’apprends tout cela sur le site de Gérard. Je pense que toutes ces pierres ont une forte symbolique, je vais essayer d’en trouver la signification. Deux policiers rencontrés un peu plus tard nous dirons qu’ils indiquent les directions. Gérard pense que c’est pour ne pas s’éloigner de la route qui, du temps du Polisario la région était minée. Il y a quelques années encore, cette portion était traversée en convoi sous la conduite des militaires.
Toujours est-il que ces sculptures anonymes sont parfois de véritables œuvres d’art. Si j’avais eu le temps, je les aurais photographiées sous tous les angles. Il y a de quoi faire une véritable exposition sur le sujet. L’un d’entre eux représentait un dromadaire couché, un autre un indien d’Amérique…
Cette partie de désert m’impressionne fortement, les trous d’érosion de la roche laissent imaginer toutes sortes de personnages plus morts que vivants, en les recouvrant de tonnes de guimauve et de neige artificielle, il y a de quoi tourner Hybernatus II, ou je ne sais quel film d’horreur ! A 15 ou 20 km heure, l’esprit a le temps de gamberger ! Je délire sans aucun doute mais je vibre aussi par la simple beauté du site d’autant plus que lorsqu’on ne s’y attend pas, la mer de couleur émeraude réapparaît.
Puisque je parle des mines un peu plus haut, je dois signaler qu’il y a quelques années encore cette portion de route se faisait en convoi pour ne pas sortir du goudron afin d’éviter les celles qui y sont planquées. Il doit encore y en avoir. Sur les bordures de route, on peut toujours voir la tête de mort qui signale le danger.
Je reçois un appel de Yassine, le postier de Tan Tan. Le colis de Noël de Natalie vient d’arriver. Je lui réponds que pour l’instant, il le garde, qu’il ne renvoie surtout pas à Dakhla puisque je n’y suis plus. Je vais lui donner les ordres par mail. Un petit foie gras et sûrement la bouteille qui va avec se trouve à l’intérieur….
La faim nous tenaille depuis un moment, mais comme dit Alain : « le soleil est au zénith » pas un semblant d’ombre nulle part. Nous continuons et une dizaine de km plus loin le mur d’une maison de gardiennage d’un radar par des militaires fait notre affaire. Les soldats amènent aussitôt couverture servent un potage que je n’ose manger, eh oui prudence, j’ai récupéré un équilibre intestinal encore souvent précaire, je ne veux pas le déstabiliser. Je n’en parle plus mais tout peut s’annuler, l’un et l’autre, nous en avons fait les frais. La différence, c’est qu’Alain mange de tout, goûte à tout, chez tout le monde, alors que moi, j’observe la prudence totale. Comme quoi les résistances sont bien différentes d’un individu à l’autre.
Les deux militaires offrent le thé et viennent discuter avec nous. Une profonde discussion s’engage sur le Maroc, sur de nombreux points de la société marocaine. C’est profond et sincère. Mais ce jeune homme ne laisse pas sortir sa femme sans voile parce qu’elle est belle. Lui aussi est très beau, et si sa femme lui demande de se voiler pour ne pas troubler le regard des jeunes femmes qu’il approche, comment réagira t-il ? Alain lui fait toute une tirade, moi, je lui en fais une autre ! Quand on se quitte, il nous dit qu’il va rapporter la discussion à sa femme !
Quand on reprend la route il fait 33°, c’est dur surtout au moment de la digestion, mais nous roulons calmement, l’essentiel est d’arriver en soirée. Il y a encore pas mal de montée, le dénivelé est de l’ordre de 250 m environ. Ce n’est plus rien à côté de ce que nous avons gravi. D’ailleurs, ces côtes, je les monte à 12 ou 15 à l’heure, avant j’aurais fait du 8/10. Quand j’en parle à Alain, contente de moi, il me répond oui mais avec vent favorable. (Il n’y a pas de vent !) Ah les mecs, vraiment peu d’encouragements.
Il me présente comme sa sœur, au départ, cela me faisait rigoler. Comme il insiste un peu trop sur les faits, les gens trouvent cela bizarre, alors tout à l’heure, j’ai dit : « non, je ne suis pas sa sœur, mais je ne suis pas non plus, son amie de cœur, on roule ensemble c’est tout ! » Il faut faire évoluer tous ces hommes. Mais des fois, je me dis qu’Alain a peut être honte de trimbaler une vieille avec lui. Pourtant, je lui lâche souvent les « baskets », trop contente de me retrouver seule et de vivre ma solitude.
Je n’ai pas parlé de la gestion des déchets au Maroc. C’est peu organisé. Il y a bien quelques poubelles ici et là, mais il reste beaucoup à faire. Les routes sont souvent jonchées de détritus. Je me suis vue transporter sur le guidon les déchets du repas pendant plus d’une heure sans rien trouver pour m’en débarrasser. Pas étonnant que l’on trouve des bouteilles de toutes sortes dans les bordures. Comme en France, on en rencontre énormément en plastique remplies d’urine de routiers surtout sur les grands axes comme celui de la nationale 1. La différence, c’est qu’elles sont moins pleines qu’en France, eh oui les marocains ne boivent pas de bière. Je trouve cette pratique complètement déplacée quand on sait le confort qu’il y a sur les routes (même au Maroc), je pense aux pauvres employés de l’équipement qui en prennent parfois plein la figure quand en la ramassant la bouteille éclate sous le coup de la fermentation.
Bon, le relief redevient plus plat. On parcourt une vingtaine de km et petit gouter de 4/4 acheté au restaurant ce matin. C’est agréable. Nous sommes assis sur le bord de la route quand on voit débarquer un militaire qui se soucie de nous et demande si tout va bien. Bien sûr, il comprend tout de suite l’origine de notre pose, s’excuse très poliment et repart.
Je ne sais pas ce qu’il surveille, je ne connais pas l’origine de sa mission, ce qui est sûr, c’est que je me sens en sécurité. Un peu plus loin, la piste d’atterrissage que Gérard voyait en construction est terminée. Il y a même dessus un petit avion aux couleurs du Maroc. Deux hommes stationnent en dessous, les pilotes ?
On ressent ensuite qu’il se prépare quelque chose. Des antennes surgissent au loin. Puis un grand mur apparaît. C’est une frontière complètement fermée. Comme lorsqu’il fallait passer les pays de l’Est dans le temps. Nous, on se dirige vers le café en arrivant. Nous allons déjà nous rafraîchir et prendre la température de l’air ambiant. Mais c’est la détente totale. Tout le monde cause, rit, regarde naturellement les allées et venues de toute cette faune des frontières. On prend un petit hôtel, que c’est bon de se retrouver au frais, de pouvoir se nettoyer et de se reposer d’une étape encore bien remplie.
Marie Ange me téléphone : « Ton paquet est bien arrivé, mais tu ne le recevras pas, le numéro a changé et le directeur de la poste ne veut pas me le donner. Les pauvres, je regrette de leur avoir demandé ce service, ils ont perdu trois heures d’attente pour rien. Je suis vraiment désolée. Je n’aurai pas mes médicaments, ni les rayons, je pense que la roue devrait tenir jusque Dakar. Les médicaments, c’est plus gênant.
Les vélos sont parqués dans le jardin, on va dire. Il y a plein de tentes où des travailleurs doivent y dormir. Je remarque un va et vient important et vais l’exprimer à Alain, je suis soucieuse. Il discute avec le gérant de l’hôtel qui se moque de moi. « Ici, on ne vole pas » me dit-il ! Je réponds : « Mais avec tous ces gens qui passent comment pouvez-vous dire cela ? » Il prend plusieurs personnes à témoin et m’assure que rien ne disparaît dans son hôtel, déjà, il y a des policiers partout et les voleurs n’iraient pas loin, ils sont comme prisonnier avec la frontière et serait tout de suite retrouvés… Bon, je veux bien, j’essaie de dormir tranquillement après avoir quand même mis l’antivol à mon vélo et à la remorque.
Et demain à neuf heures, nous quitterons le Maroc après une traversée de plus d’un mois et demi.