Jeudi 3 février : Saint Louis – Darussalam 90 kms

Hier, nous sommes restés à St Louis. Nous avions un jour d’avance, mieux valait le passer à la ville où il y a à découvrir que d’arriver en banlieue de Dakar où la vie n’est plus ce qu’elle était. Alain et Lisa sont allés au parc du Djoudj. Pendant ce temps, j’ai réglé tous les rendez-vous avec les syndicats, avec le responsable Régional de Pinord (Programme d’appui à l’accès aux Initiatives du Nord) notre partenaire qui se prénomme Sacoura. L’après midi, mise à jour des textes et cyber café.

Aujourd’hui, la nuit  fut perturbée, cauchemars, je suis tombée dans un grand trou où grouillaient des dizaines de rats et souris. J’ai hurlé et réveillé toute la chambrée. C’est vous dire, que l’environnement maison pour tous m’a bien perturbé…

A 6 heures,  réveil brutal ! Ce sont les « Bidochons  à la découverte du Sénégal », des touristes français  qui ne peuvent se passer de leur pastis et de leur whisky. Ils ont tout simplement oublié qu’ils se trouvaient dans une auberge de jeunesse et n’étaient pas seuls au monde.

Petit déjeuner de pain blanc allégé, la baguette est loin de peser 250 grammes. Où sont les petites boules fraîches du Maroc ?

Nous pourrions partir au lever du jour mais nous attendons Amadou qui vient nous saluer. Enfin il arrive. Alain lui pose une question sur les syndicalistes et c’est parti pour de longues théories. Je fais constater ce que j’ai vécu, entendu depuis que je roule avec lui. Sa femme  compatit. Au petit matin, j’aime ma tranquillité d’esprit pour prendre la route dans les meilleures conditions et profiter au maximum de l’environnement -poétique- qui m’est offert.

Un groupe  de vendéens avec qui j’ai bien discuté se trouve également  dans l’auberge. Ils partent visiter la région du fleuve. Amadou les invite à Kassack, je leur conseille également M’Bagam. C’est parti, les filles prennent rendez-vous avec les gens du village. Ils visiteront également la CSS (Compagnie sucrière du Sénégal).

Il y a des gens qui entrent dans l’auberge qui regardent, je trouve bizarre. Je croise le regard d’un gars qui ne me semble pas inconnu. Je me dis qu’il ressemble à un gars que je connais de Grenoble. Il s’avance vers moi sans rien dire, eh oui, c’est bien David Delhommeau, de Ritimo (Réseaux d’information à la solidarité internationale), je le côtoie régulièrement au niveau d’Educasol , la plate forme d’éducation au développement du CRID.  Drôle non. Enfin, non, il vient comme moi au forum social, sauf qu’il est venu en bus de Dakar et en avion pour arriver à Dakar. Il vient participer à la journée sur l’économie solidaire qui doit avoir lieu en amont du FSM à Saint Louis le 4 février.

Alain et moi repartons tranquillement, passons sur le pont Eiffel toujours en réhabilitation. La partie ancienne n’est pas facile à passer car à chaque instant la roue peut se coincer dans les fentes et lacérer le pneu.

Nous prenons quelques photos en passant et c’est parti. Nous avions oublié le vent, en bord de mer, nous le retrouvons de pleine face. Je fais avec…

La circulation est acceptable malgré mes craintes. Le paysage de verdure est reposant. Tout baigne. Je connais bien le secteur puisque je suis venue avec la communauté de communes du canton de Void (Meuse) pour démarrer un jardin d’enfant. Je traverse Rao en pensant au Sous Préfet de l’époque avec qui j’avais bien sympathisé, il en est passé deux depuis.

Nous atteignons Fas (30 km au sud de Saint Louis) dans un temps raisonnable, je souhaite m’y arrêter pour voir comment cela fonctionne. C’est magnifique, le plus bel accueil de petits que j’aie jamais  rencontré au Sénégal.

La directrice me reconnaît, elle ne comprend pas pourquoi je ne suis jamais revenue, ni pourquoi les jeunes et les élus n’ont pas donné suite. Son Mari et elle n’avaient pas nos coordonnées, sinon, ils nous  auraient contactés. Ils n’ont pas compris pourquoi le groupe n’a pas terminé les travaux. Je lui explique que je suis venue moi-même apporter l’argent, plus de 3 000 000  de CFA à l’époque, que j’ai remis cette somme au maçon, au ferrailleur pour la porte et le reste au Chef, qu’ils  ont refusé que j’achète les matériaux, etc,etc. Elle n’en revient pas, le chef ne leur a remis qu’une somme de 100 000 CFA et leur aurait dit que l‘on a pas donné suite. Ahurissant, mais véridique. Ce couple d’enseignants ne se sont pas démobilisés, après bien des difficultés et des recherches, ils ont trouvé la ville de Monaco pour terminer le mur et construire deux autres salles de classe. Aujourd’hui, l’ensemble que l’on peut comparer à une école maternelle se compose de trois classes, un bureau pour la directrice, des toilettes et d’un patio. Le tout est agrémenté de fleurs bien vivaces, c’est la bonne surprise.

Pourtant, là, pendant le chantier, le Conseiller Général – Maire, André Jannot  avait fait le déplacement en personne avec la Vice Présidente de la Communauté de Commune. Je n’étais pas seule, parce que l’on me dit régulièrement : « tu es une femme, les affaires en Afrique, elles se traitent entre hommes… ». Et André en imposait. Je connais peu de site où les partenaires européens sont satisfaits. Souvent, ce sont des choses qui arrivent, en moins important peut être, d’un point de vue financier, et souvent les objectifs fixés ne sont pas atteints. C’est cela l’Afrique…

Il faut accélérer, nous avons rendez-vous à Louga et la route est encore longue. Zut Alain crève. Une de plus. J’en profite pour aller me rafraichir à l’alimentation du village mais je ne reconnais personne.

Les trois personnes que j’aurais envie de revoir ne sont pas là. Le copain de Michelle, Babacar, aussi mais il travaille à Ross Bethio, et le vieux Sarr mais celui là c’est un bandit. Ce serait pour lui dire ses quatre vérités. Il fait partie de ceux qui ont détourné l’argent.

La crevaison réparée, nous enfourchons à nouveau le vélo. Louga, c’est encore loin, il nous reste plus de 30 km  à parcourir. On vous dit 50 mais les km sénégalais n’ont pas la même distance que ceux de France ! Il faut toujours en ajouter. Donc, pour ce qui nous concerne, il faut plutôt prévoir 70 que 50. Les responsables syndicaux sont en réunion pour la matinée, justement, ils préparent leur participation au forum. En attendant notre arrivée, Lisa résume notre action, Fatou doit traduire. C’est bien, tout le monde s’y met. Pendant ce temps là, nous essayons d’accélérer, mais la chaleur prend des proportions différentes, j’ai tout simplement chaud et je bois énormément. Nous arrivons à Louga, pas vraiment exténués mais dans un drôle d’état. Nous mangeons puis, je présente l’action à l’assemblée. Ils sont nombreux, sûrement plus d’une trentaine et sont très intéressés car tout le monde est conscient que l’accaparement des terres, c’est une nouvelle forme de colonialisme.

C’est devenu le nouveau fléau actuel.

Plusieurs personnes témoignent dont l’un d’entre eux .Ce dernier  ne veut pas arrêter de parler ! Tout le monde rit, la traduction en français est abrégée, l’humour ne ressort pas, dommage. Trois responsables restent après la rencontre et me donnent un témoignage précis sur  ce qu’ils vivent et connaissent de la situation. Je filme l’intégrité de leur discussion.

Un président demande quelle suite nous donnerons à cette action. Pour l’instant, je ne sais que répondre. Je découvre que le phénomène s’amplifie de jour en jour.  Si les responsables des associations de paysans sont sensibilisés, ils ne sont pas entendus par la base, c’est à ce niveau que nous devons agir. La distribution de milliers de tracts n’est pas impossible si je trouve une voiture pour les faire transiter de France au Sénégal. Il faut attendre le déroulement du FSM et faire connaître les décisions prises par rapport à l’accaparement des terres. La  suite restera à définir.

Je n’ai pas vu passer le temps, quand nous repartons, il doit être 17 heures. Le responsable nous a trouvé un hébergement dans un village proche. Il y a encore une dizaine de kms pour y arriver mais il faut sortir de Louga, des routes ensablées. C’est plus fatiguant de trainer le vélo sur quelques centaines de mètres que de le chevaucher pendant une heure sur une route normale.

Nous avons mal compris le lieu de rendez-vous. Au village pressenti, personne ne peut nous renseigner, nous ne trouvons pas nos accompagnateurs. Nous irons trop loin. C’est la première fois du périple que nous revenons sur nos pas, c’est drôle ! Nous sommes hébergés dans le local de la fédération des associations paysannes de la région de Louga. Encore un hébergement de fortune, mais mon matelas n’est pas mauvais, c’est cool, Fatou et Fatima nos deux interprètes woolofs ne peuvent en dire autant, les ressorts sont détendus et leur pétriront le dos toute la nuit.

On nous confectionne un repas cannibalesque à base de bœuf. Dommage qu’il ne soit pas accompagné du traditionnel riz. Le soir, le président de la fédération locale vient nous rendre visite et nous exprime les mêmes inquiétudes que celles que nous avons reçues cette après midi. Il dit que quelqu’un est venu avec une lettre comme quoi on lui avait donné de la terre (en pot de vin), un député serait venu lui demander 200 ha pour installer une usine de transformation de céréales, lesquelles ? Tout se fait dans des conditions souterraines. Rien n’est officiel.

En arrivant au Sénégal, je me demandais si je n’allais pas faire de l’ingérence en m’immiscent dans ces problèmes d’accaparement. N’était-ce pas une obsession de « toubab » (surnom donné aux blancs par le sénégalais) ? J’avoue que j’avais quelques angoisses qui se sont complètement levées depuis que l’action s’est réellement engagée  à Ross Bethio avec les partenaires de Pinord.

Je m’endors tranquillement, il reste deux étapes à parcourir. L’arrivée approche.

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